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Totalitarisme

Le totalitarisme désigne un mode de gouvernement, un régime politique dans lequel un parti unique détient la totalité des pouvoirs et ne tolère aucune opposition (monopartisme), exigeant le rassemblement de tous les citoyens en un bloc unique derrière l'Etat.

Le totalitarisme est un mode de fonctionnement de l'Etat dans lequel celui-ci prétend gérer, outre la vie publique, la vie privée des individus (régime policier, encadrement de la jeunesse et des relations professionnelles...). (Dictionnaire La Toupie)

Auschwitz et le Goulag. Notre époque reste hantée, du moins on l'espère, par ces symboles paroxystiques des deux idéologies qui ont éventré le siècle dernier au nom de leur projet radical de créer une humanité nouvelle, l'une au nom de la race et l'autre au nom de la classe. On aura reconnu, bien sûr, le nazisme et le stalinisme, régimes qui, selon Hannah Arendt qui en a la première décrypté les fondements dans Les Origines du totalitarisme, « sont la négation absolue de la liberté [et] reposent sur la terreur ». Et la grande philosophe politique d'ajouter que ces régimes « réduisent les hommes à n'être que des individus de masse, isolés, coupés du réel et qui ont perdu le sens de l'intérêt commun ».

La chose avait commencé en Italie, dès la fin 1922, avec le stato totalitario de Mussolini. Quelques années plus tard, elle fut reprise en Allemagne avec le totale Staat, tandis que le rêve d'émancipation soviétique s'engluait dans l'État-parti bureaucratique que l'on sait. S'il ne peut être question d'établir un signe d'égalité absolue entre ces trois types de système, il n'en est pas moins que chacun d'entre eux a eu recours à un contrôle policier omniprésent, la vie quotidienne des citoyens y étant cadenassée par le pouvoir et y étant happée dans un engagement sans répit auquel il était impossible de se soustraire. La réalité elle-même, par nature diversifiée ou complexe, devait se plier à la vision monomaniaque de l'idéologie. Au point que l'être humain concret, imprévisible autant qu'intempestif, y devenait littéralement « de trop »...

On rétorquera que, pour les jeunes générations, le bolchevisme, le fascisme et l'hitlérisme paraissent bien lointains, vaincus par la marche inexorable de l'Histoire et par la quête éperdue de la liberté chez les peuples. Et que revenir inlassablement sur ces temps révolus n'est en rien susceptible de nourrir quelque projet mobilisateur pour ceux qui sont amenés, aujourd'hui, à forger leur avenir. Bref, faire appel à la vigilance anti-totalitaire serait devenu obsolète puisque, après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, la dynamique démocratique ne peut plus s'arrêter, n'est-ce pas?

Bel optimisme, auquel il convient d'apporter un bémol. Car indépendamment des pulsions nationalistes et identitaires qui ont ressurgi en Europe une fois la guerre froide terminée, on y assiste – ainsi qu'ailleurs sur la planète – à la victoire totale d'un capitalisme carnassier. Boosté par la finance internationale, exalté aussi par la recherche effrénée du profit, son appétit féroce ne paraît plus devoir rencontrer aucune limite. La nature elle-même risque à terme d'être dévorée par ce dragon insatiable pour qui l'argent est roi : à ce jour, pas le moindre saint Michel en vue capable, sinon de le vaincre, du moins de l'amadouer quelque peu. Reste, en guise d'antidote minimum, de le réguler ou de lui inoculer de la substance éthique...

Le citoyen lambda, souvent réduit au consumérisme le plus débilitant, se trouve bien désarmé face à ce Léviathan qui n'a que les « exigences du marché » à faire valoir comme justification ultime de ses agissements. Faudra-t-il bientôt adopter le néologisme de « marchéisme » pour désigner cette nouvelle conception totalisante de nos sociétés? En présence de la marchandisation tous azimuts du monde, peu ou pas regardante aux droits socio-économiques les plus élémentaires de ceux qui n'ont que leur travail pour subsister, serions-nous gagnés par une cécité semblable à celle qui a frappé tant de contemporains des totalitarismes du siècle dernier ? On peut espérer que non. Raison de plus pour rester attentif à la voix d'hommes libres comme le fut toute sa vie celle de Claude Lefort, récemment disparu : sa prudence libertaire, donc opposée à toutes les formes – insidieuses notamment – de despotisme, reste plus que jamais d'actualité.

(Henri Deleersnijder, « Mots » in Aide-mémoire, n°55, janvier-mars 2011)